Sur l’Afrique, « Mitterrand a été son propre biographe » selon l’historien Pascal Blanchard (2025)

Pour ausculter les rapports de François Mitterrand avec l’Afrique, Pascal Blanchard et les historiens qui l’ont accompagné ont recoupé une foule de sources. Un travail nécessaire tellement celles-ci avaient habilement été réécrites par la grande figure socialiste. Leur ouvrage, «François Mitterrand, le dernier empereur- De la colonisation à la Françafrique», révèle les nombreux mensonges de l’ancien président.

À propos de François Mitterrand, vous évoquez son «émergence d’un colonialisme intégral.» Qu’est-ce que cela signifie?

«Quelle que soit la manière dont l’Empire est géré, organisé et structuré, il faut aller jusqu’au bout du principe, jusqu’au bout de l’idée impériale de la France. C’est un empire qui est devenu une partie intrinsèque de la République. Si on observe cette histoire sur le temps long, on commence par une extrême droite maurrassienne anticolonialiste à la fin du 19esiècle, pour terminer avec l’OAS, c’est-à-dire une extrême droite qui a les pieds, les mains, la tête et le corps dans l’Empire. Mitterrand pense lui aussi que l’Empire doit être totalement lié à la France et qu’il va falloir le moderniser, le réformer, justement pour le conserver.»

Peut-on dire que son positionnement le plus radical est intervenu durant la guerre d’Algérie?

«Certainement. Il a alors parfaitement incarné la posture d’un ministre de l'Intérieur puis de la Justice des années 1950, qui considérait que l’Algérie c’était la France et que s’il y avait, comme on disait à l’époque, des ''rebelles'' ou du ''terrorisme'', il fallait non seulement les condamner mais qu’il fallait donner l’exemple! Il aurait très bien pu regarder le profil des 45 ''rebelles'' qu’il a fait exécuter et se rendre compte que beaucoup d’entre eux n’avaient pas de sang sur les mains… Mais non: dans 80% des cas, il refuse les grâces. On sent chez lui des intérêts personnels politiques, la volonté de prouver qu’il a la carrure d’un homme d’État.

«C’est le plus grand magicien qui soit»

«La rupture politique avec ces marqueurs de la gauche va se poursuivre au-delà du conflit algérien et marquera la fracture avec les Savary, Mendès France et Rocard. C’est d’autant plus intéressant que cette fracture explique les enjeux de la gauche des trente années qui vont suivre. Après, il lui a fallu fabriquer une mythologie de l’homme qui a voulu la décolonisation, d’un homme qui aurait pu décoloniser à la place du général de Gaulle s’il avait été au pouvoir.»

>À LIRE AUSSI.Élection de François Mitterrand: 40ans après, la nostalgie de Jack Lang

François Mitterrand a-t-il conduit la même politique africaine que ses prédécesseurs?

«On pense que la Françafrique est une marque de fabrique exclusive de Jacques Foccart, le monsieur Afrique du général de Gaulle, mais d’une certaine manière, je pense que François Mitterrand aurait pu l’inventer. Il était parfaitement en phase avec l’idée que l’Empire perdu, l’influence française devait être conservée (sous des formes multiples, en Afrique ou dans les départements ultramarins).»

Comment expliquer que les partis de gauche ne lui aient jamais reproché ni son positionnement ni ses ambiguïtés?

«Parce que c’est certainement le plus grand magicien qui soit! Il a commencé très tôt, en réécrivant son histoire dès la fin des années 50. Puis il a passé toutes les années suivantes à manipuler ses biographes ou les observateurs de son temps. Quand je discutais avec eux des voyages de Mitterrand en Afrique, tous étaient persuadés qu’il avait rencontré les responsables politiques africains en 1949-1950, qu’il s’était abreuvé de connaissance au contact des élites des pays visités, alors qu’en fait il allait faire des safaris et se divertir dans la société coloniale en ne visitant que des gouverneurs et en fréquentant les bals dans les différents territoires coloniaux! En 2025, sur le site officiel de l’Élysée, il est toujours mentionné qu’il a été un décolonisateur. Mitterrand a été son propre biographe.»

>À LIRE AUSSI.Lilian Thuram: «La décolonisation, c’est la victoire de la liberté!»

Avec le système des rétrocommissions d’Elf, via le Gabon d’Omar Bongo, des milliards arrivaient aussi clandestinement chaque année à l’Élysée…

«Ce que l’Afrique pouvait produire devait aussi servir la France postindépendance, y compris la France politique et la France politicienne. Mitterrand n’a eu là-dessus aucun problème et s’est situé dans la continuité, en fin de compte, de ce qu’il pensait dans les années 30. Il a parfaitement compris que la France restait le pivot de cette Afrique, de cet ex-empire, ce que de Gaulle avait imaginé avant lui.»

Comme analysez-vous son soutien au régime rwandais, violent et corrompu, durant le génocide des Tutsis?

«Il y a l’idée, complètement incrustée en lui, que ''l’Anglais'' (puis les Américains) était l’ennemi incontournable dans les espaces africains et ultramarins. Il y a aussi l’idée que l’Afrique est incapable de gérer elle-même ses propres conflits ethniques et, qu’en gros, il faut choisir un camp pour garder son influence. Et puis, au troisième niveau, cela révèle des choses profondément ancrées en lui, à savoir qu’il n’hésite pas à employer des moyens répressifs. Au moment du génocide des Tutsis du Rwanda, il estime que personne d’autre que lui (à l’Élysée ou au gouvernement) n’a une vision juste de l’Afrique, tant son expérience en la matière a été longue.»

«François Mitterrand, le dernier empereur. De la colonisation à la Françafrique» (Éditions Philippe Rey). Sous la direction de Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, 862 pages, 29,50euros

…Pascal Blanchard

Il est historien, chercheur associé à Lausanne, codirecteur du groupe de recherche Achac à Paris, spécialiste en histoire contemporaine et du racisme, auteur d’une soixantaine de livres, et notamment en 2022, Histoire globale de la France coloniale (Éditions Philippe Rey); en 2023, Mes étoiles noires en images (Éditions de La Martinière, avec Lilian Thuram); en 2024, France, terre d’immigration (Éditions Philippe Rey, collectif).
Il est par ailleurs auteur et/ou réalisateur de nombreux documentaires (dont L’Amérique en guerre en 2025 pour Arte) et a été commissaire d’une quinzaine d’expositions.

Sur l’Afrique, « Mitterrand a été son propre biographe » selon l’historien Pascal Blanchard (2025)

References

Top Articles
Latest Posts
Recommended Articles
Article information

Author: Arline Emard IV

Last Updated:

Views: 5717

Rating: 4.1 / 5 (52 voted)

Reviews: 83% of readers found this page helpful

Author information

Name: Arline Emard IV

Birthday: 1996-07-10

Address: 8912 Hintz Shore, West Louie, AZ 69363-0747

Phone: +13454700762376

Job: Administration Technician

Hobby: Paintball, Horseback riding, Cycling, Running, Macrame, Playing musical instruments, Soapmaking

Introduction: My name is Arline Emard IV, I am a cheerful, gorgeous, colorful, joyous, excited, super, inquisitive person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.